Cet article est un extrait du livre : Mariés pour toujours – Les clés d’un mariage heureux en Islâm (Ali Hammuda.
« Je n’ai créé les djinns et les hommes que pour qu’ils M’adorent. »[1]
Ce verset du Qur’ân semblera familier à de nombreux croyants. Il est souvent cité en réponse aux questions relatives au but et au sens de la vie : « Pourquoi sommes-nous ici ? » ; « Pourquoi Allâh m’a-t-Il créé ? » ; « Quel est le sens de la vie ? » Ces questions et bien d’autres trouvent souvent leur réponse dans cette déclaration à la fois simple, sans ambiguïté et profonde. Pourquoi, alors, ce verset s’appliquerait-il au sujet du mariage ?
Le lien entre l’union de deux personnes au sein du mariage et l’adoration d’Allâh peut ne pas sembler évident à première vue. Cependant, pour comprendre véritablement l’approche correcte du mariage, nous devons d’abord explorer (et, si nécessaire, corriger) notre conception de ce qu’est l’adoration.
Dans la vie de tout croyant, il n’existe aucun principe plus important et plus central que l’adoration. Chacune de nos intentions, chacune de nos paroles et chacun de nos actes peut et doit être ramené à ce concept. Lorsque nous pensons à l’idée « d’adoration », des images de mosquées, de tapis de prière et de récitation du Qur’ân nous viennent à l’esprit, mais la réalité de ce concept est en réalité bien plus vaste, intégrale et inclusive. Comprendre la véritable nature de l’adoration en Islâm est un acte transformateur qui vous donnera le pouvoir et la capacité de vivre votre vie d’une manière entièrement différente.
Commençons par une définition ; en Islâm, le concept d’adoration (‘ibâda) est de deux types :
- Khâssa (actes spécifiques ou répertoriés), à l’image des cinq piliers de l’Islâm et de ce qui en découle. Il s’agit d’actions prescrites qui sont fortement réglementées par la sharî’a.
- ‘Amma (les actes généraux, ou non répertoriés), qui concernent tous les aspects de la vie – y compris des actions pratiques telles que manger, boire et dormir. Ces actes sont réglementés de manière plus légère par la sharî’a.
L’adoration (‘ibâda) est donc une très vaste catégorie générique qui couvre tous les aspects de la vie, comme l’indique le Livre d’Allâh :
« Dis : ‘Mes prières, mes actes de dévotion, ma vie tout entière et ma mort sont voués à Allâh, Seigneur de la Création.’ »[2]
De nos jours, nombreux sont malheureusement ceux qui ne conçoivent l’adoration que dans le cadre étroit des actes rituels et cultuels prescrits, relégués à des lieux, des moments et des contextes particuliers. En réalité, toutefois, pour un croyant, l’adoration est un état d’esprit intégral qui englobe toute notre vie ; examinons désormais comment les savants de notre tradition concevaient l’adoration.
L’Imâm Ibn Taymiyya a dit à ce sujet :
« L’adoration (‘ibâda) est un terme générique qui couvre toute chose qui est aimée d’Allâh et Le satisfait, qu’elle soit verbale ou physique, et qu’elle soit extérieure ou intérieure. »[3]
Si ce sujet est aussi vaste et étendu, comment pouvons-nous être certains que nos pensées, nos paroles et nos actes correspondent à la définition de « l’adoration » en Islâm ? Nous disposons de critères clairs et concis pour en juger ; en effet, tout acte peut être considéré comme un acte d’adoration s’il remplit les deux conditions suivantes :
- La sincérité (accomplir l’acte uniquement dans l’optique de la Satisfaction d’Allâh) ;
- La conformité avec la Sunna prophétique.
Immédiatement, notre conception de l’adoration est donc radicalement modifiée par l’adoption de cette approche dans notre vie. Si une simple pensée peut être considérée comme un acte d’adoration, alors que dire d’un événement aussi important que le mariage, qui est censé lier la vie de deux personnes jusqu’à ce que la mort les sépare ?
Le mariage doit donc être considéré comme un acte d’adoration au même titre que toutes les autres actions que nous accomplissons au nom d’Allâh. C’est un acte qui peut et doit être accompli en premier lieu en Son nom, puis en accord avec la Sunna prophétique. Ceci signifie que ceux qui l’honorent accomplissent ainsi une partie du but de leur vie et augmentent leur chance d’atteindre le Paradis, tandis que ceux qui ne le font pas négligent une partie du but de leur vie et compromettent ainsi leur accès à la Demeure éternelle.
Le mariage n’est pas un simple rite de passage, un jour aussi bref que joyeux après lequel les deux époux sont laissés à eux-mêmes pour déterminer ce qu’ils veulent faire de leur vie. Il s’agit, à l’inverse, d’une union si capitale que la Loi d’Allâh – la sharî’a – a directement réglementé de nombreux aspects du mariage afin de s’assurer qu’il se déroule dans les meilleures conditions.
Parmi les exemples de cette législation, nous pouvons citer les dispositions prophétiques garantissant que les femmes soient consultées avant le mariage :
« Une femme non mariée ne doit être donnée en mariage qu’après l’avoir consultée, et une vierge ne doit être donnée en mariage qu’avec sa permission. »[4]
Ainsi que les lignes directrices relatives au processus de demande en mariage :
« Que nul d’entre vous ne demande une femme en mariage alors que son frère l’a déjà fait – à moins que celui qui l’a demandée en mariage avant lui n’y renonce ou ne lui en donne l’autorisation. »[5]
Nous disposons encore de directives sur les conditions de l’acte de mariage :
« Nul mariage sans la présence du tuteur et de deux témoins dignes de foi. »[6]
Ou encore, dans le Qur’ân, sur le cas du divorce :
« Prophète ! Que celui d’entre vous qui décide de répudier son épouse le fasse au moment prescrit qui marquera le début du délai de viduité dont vous compterez précisément les jours. Craignez Allâh, votre Seigneur ! N’obligez pas la femme répudiée à quitter le domicile conjugal avant la fin du délai de viduité – et elle ne doit pas elle-même prendre l’initiative de partir – à moins qu’elle ne commette un péché avéré. Telles sont les lois d’Allâh. Or, quiconque transgresse les lois d’Allâh s’est montré injuste envers lui-même. Qui sait ? Il se peut qu’Allâh suscite quelque chose de nouveau. »[7]
Outre ces stipulations, il existe en Islâm des instructions minutieuses relatives à bien d’autres aspects du mariage et du divorce, qu’il s’agisse de l’intimité, de la garde des enfants ou des arrangements financiers. Le soin apporté à ces directives indique sans l’ombre d’un doute que le mariage doit être considéré comme une forme d’adoration à part entière.
Que change, fondamentalement, le fait de considérer le mariage comme un acte d’adoration ?
- Aucun de vos efforts conjugaux n’est vain
Que vous émettiez l’intention correcte ou non, le mariage vous réserve des hauts et des bas, des défis, des problèmes et des sacrifices. Il s’agit là d’une réalité universelle, tant pour les croyants que pour les non-croyants. Ainsi, puisque vous vous êtes déjà engagé dans ce parcours mouvementé, pourquoi ne pas corriger votre intention, afin que les actions que vous auriez de toute façon accomplies deviennent pour vous une source de récompense divine ? Sans cette intention spécifique, vos efforts sont semblables à ceux d’un ouvrier qui travaillerait de longues heures gratuitement alors qu’il aurait pu être rémunéré pour tous ses efforts !
Concrètement, considérer votre mariage comme un acte d’adoration signifie que l’argent que vous dépensez pour votre foyer est considéré comme un acte de charité, que les actes de bonté envers votre conjoint et vos enfants vous valent l’agrément divin, et que même l’acte intime dont vous jouissez vous apporte la récompense d’Allâh ! Inversement, vos épreuves au sein du mariage deviennent quelque chose dont vous pouvez tirer profit, et les inévitables défis de la vie sont considérés comme des parties intégrantes d’un grandiose projet de vie.
Ibn Abî Jamra a dit :
« J’aimerais que certains savants de l’Islâm consacrent tout leur temps à enseigner aux gens l’art de formuler l’intention de leurs actions – de sorte que les savants s’assoient et éduquent les gens à cet égard sans rien faire d’autre. En effet, de nombreuses personnes sombrent dans la ruine pour la seule raison qu’elles ne formulent pas la bonne intention ! »[8]
Nombre de personnes souffrent énormément au cours de leur mariage en raison d’une intention faible, ou tout simplement absente.
À ce sujet, certains savants de l’Islâm ont dit :
« L’adoration des personnes distraites est une habitude, et les habitudes des personnes conscientes sont une adoration. »
Lorsque vous considérez le mariage comme un acte d’adoration, tout ce que vous faites et vivez au cours de ce mariage se transforme en une occasion d’obtenir la récompense divine. Vos difficultés deviennent aussi un moyen d’expier vos péchés et de corriger vos lacunes. C’est ce qui ressort du hadîth suivant :
« Entre un dînâr que vous dépensez sur le sentier d’Allâh, ou pour affranchir un esclave, ou en tant qu’aumône offerte à un nécessiteux, ou pour soutenir votre famille, celui qui rapporte la plus grande récompense est celui que vous dépensez pour votre famille. »[9]
Le Prophète ﷺ a également dit :
« Vous serez récompensé pour tout ce que vous dépensez au nom d’Allâh, même s’il ne s’agit que d’un morceau de nourriture que vous placez dans la bouche de votre épouse. »[10]
De manière tout à fait incroyable, le Messager d’Allâh ﷺ nous a également informés que :
« Vos moments d’intimité avec votre épouse sont un acte de charité. » Les Compagnons ont demandé : « ô Messager d’Allâh, comment est-il possible que nous soyons récompensés pour avoir assouvi nos désirs ? »
Il a répondu : « N’est-il pas vrai que celui qui assouvit son désir de manière illicite commet un péché ? De même, l’assouvir de manière licite entraîne une récompense. »[11]
Notons que l’idée que la sexualité était une forme de vice et de mal a prévalu dans la conception chrétienne du mariage au sein de l’Église jusqu’à la Réforme du 16ème siècle : les premiers pères de l’Église, Tertullien et Ambroise, préféraient ainsi l’extinction de l’humanité à sa propagation par la sexualité ; un autre père de l’Église, Origène, est même allé jusqu’à se faire castrer avant son ordination, en guise de dévotion ! À l’inverse, l’Islâm considère la sexualité comme un acte d’adoration délicat et accepté par Allâh – lorsqu’il s’inscrit, bien entendu, dans le cadre et les limites du mariage.
- Vous débloquerez une immense réserve de patience
Lorsque le mariage est vu à travers le prisme de l’adoration, de nouveaux horizons de patience s’ouvrent, car vous avez désormais élevé votre perspective sur cette relation : vous ne la considérez plus comme quelque chose de mondain, mais de divin. Pourquoi est-ce particulièrement important ? Parce que chaque phase du mariage requiert de la patience. Parmi les exemples les plus évidents, citons la patience requise pendant les mois (ou années) de recherche d’un époux, et la patience requise pour supporter le rejet éventuel. De même, la patience financière requise pour assumer une dot (mahr) inabordable et la difficulté de subvenir aux besoins de sa famille, ainsi que la patience émotionnelle requise pour supporter l’éloignement ou le désamour sont encore plus difficiles, en particulier lorsque les aspects complexes de la vie intime et des différences de libido sont impliqués. L’influence de la famille et les conflits entre une épouse et sa belle-mère requièrent de la patience, en particulier lorsqu’elles vivent sous le même toit.
Il faut avoir la patience de perdre une bataille pour remporter la guerre, surtout en tant que parent qui a le devoir de préserver l’honneur de son conjoint aux yeux de ses enfants. Les moments les plus sombres de la vie – qu’il s’agisse des problèmes de fertilité, des difficultés financières, de la mort d’êtres chers ou même de l’échec d’un mariage – requièrent tous un degré extraordinaire de patience pour les supporter tout en restant attaché à la moralité islamique.
Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses situations de la vie conjugale dans lesquelles vous devrez faire preuve de patience. Pour développer ce trait de caractère indispensable, nous devons donc considérer le mariage comme un acte d’adoration qui exige de nous le plus haut niveau d’éthique. De cette façon, vous réussirez à construire quelque chose de bien plus grand qu’un foyer dans cette vie d’ici-bas : vous bâtirez un foyer dans l’Au-delà, et vous ferez en sorte qu’Allâh accepte toutes vos actions.
Mettre ce principe en pratique
- Examinez et renouvelez régulièrement vos intentions
Espérez toujours la récompense d’Allâh dans tout ce que vous faites durant votre vie de couple : c’est ce qu’on appelle avoir l’ihtisâb. « J’ai payé le loyer » : ihtisâb. « J’ai nettoyé la maison » : ihtisâb. « J’ai préparé un repas pour ma famille » : ihtisâb. « J’ai comblé mon époux/épouse en ayant des rapports intimes » : ihtisâb. Lorsque votre intention est de satisfaire Allâh, tous vos actes deviennent des actes d’adoration.
- Disposez des supports visuels chez vous pour des rappels réguliers
Vous pouvez le faire sur votre réfrigérateur, dans votre bureau, dans votre chambre à coucher, ou dans tout autre endroit où vous posez souvent vos yeux. Formulez le rappel de l’ihtisâb comme vous le souhaitez : il peut s’agir d’un hadîth sur l’intention, ou d’un verset du Qur’ân auquel vous êtes fortement attaché. Votre environnement peut vous aider à vous rappeler que votre mariage est un acte d’adoration dans les moments d’oubli ou d’émotions exacerbées.
- Rassemblez votre famille pour apprendre et tisser des liens ensemble
Prenez l’initiative de donner l’exemple au sein de votre foyer en étudiant régulièrement en groupe le Qur’ân, la Sunna ou la Sîra (biographie du Prophète ﷺ) – d’une manière adaptée à l’âge des enfants, s’ils y participent. Ce simple effort permettra à votre mariage de rester connecté aux Cieux, en vous aidant à vous concentrer sur des questions qui transcendent les limites terrestres et vous rappellent qu’il existe quelque chose de bien plus grand.
[1] Al-Dhâriyât, 51/56.
[2] Al-An’âm, 6/162.
[3] Ibn Taymiyya, Kitâb al-‘Ubûdiyya.
[4] Al-Bukhârî, Sahîh al-Bukhârî.
[5] Al-Bukhârî, Sahîh al-Bukhârî ; Muslim, Sahîh Muslim.
[6] Al-Bayhaqî, Al-Sunan al-Kubrâ lî-l-Bayhaqî.
[7] Al-Talâq, 65/1.
[8] Al-Madkhal.
[9] Muslim, Sahîh Muslim.
[10] Al-Bukhârî, Sahîh al-Bukhârî.
[11] Muslim, Sahîh Muslim.